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2017 – Transitions en espace francophone

EUROPA collabore à un programme de recherche lancé par l’Institut International de Recherche sur la Conflictualité (IiRCO), dirigé par Pascal PLAS, avec lequel EUROPA avait co-organisé la conférence programmée dans le cadre de son 20e anniversaire sur le thème « Construire et préserver la paix : une ambition européenne ».

Le programme de recherche dont il est question s’intitule « Transitions en espace francophone » et son premier volet sera consacré au bassin méditerranéen sous l’appellation : Transitions en Méditerranée, raccourci à l’acronyme TransMéd.

Ce programme de recherche est transdisciplinaire et fait appel aussi bien aux juristes qu’aux historiens, historiens du droit, sociologues, etc., dans une approche anthropologique. Il s’agit ici de prendre en compte tous les aspects du fait transitionnel : les questions de justice transitionnelle, les reconstructions politiques et la recomposition des services publics, les situations religieuses, les modalités de constructions mémorielles….

Pour sa part, EUROPA s’attachera à développer un volet concernant les phénomènes de transition administrative ou, plus exactement le rôle des administrations publiques dans les processus transitionnels. En effet les processus de transitions constitutionnelles ou politiques ont été largement étudiés lors de l’accession des républiques socialistes à la démocratie : les conditions politiques d’un retour à la démocratie sont donc assez largement documentées. En revanche, le rôle des administrations publiques dans la construction et la consolidation de l’Etat de droit reste un angle mort de l’analyse en science administrative.

Pourtant, cette dimension du retour à la paix civile, dans des sociétés parcourues de lignes de fractures importantes, et à la démocratie (au sens de régime politique pluraliste – polyarchie – garant d’un ensemble de libertés publiques, de droits politiques et civils juridiquement protégés, dans lequel l’action des gouvernants et des agents placés sous l’autorité du pouvoir exécutif sont soumis à un double contrôle – politique : contrôle de conformité de leur action à la volonté nationale ; juridictionnel : contrôle de régularité de leur action et de l’ensemble de leurs actes au bloc de légalité) est essentielle : l’établissement (ou le rétablissement) d’institutions démocratiques ne suffit pas à lui seul s’il n’est pas accompagné d’un puissant travail d’enracinement de ces institutions dans la société et dans la diffusion des valeurs qui sont au cœur du contrat ou pacte social.

Dans cette perspective le rôle des administrations publiques (entendues au sens d’un ensemble d’institutions publiques – nationales ; locales ; de sécurité sociale – placées sous le contrôle plus ou moins direct du pouvoir exécutif, chargées de la mise en œuvre de orientations programmatiques des responsables politiques, et responsables des principales fonctions collectives) apparaît déterminant si l’on retient les trois séries de contraintes suivantes auxquelles l’établissement et la consolidation de la démocratie est conditionné :

  • L’établissement et la consolidation de la démocratie exige tout d’abord que soit assuré la continuité de l’Etat, la stabilité des institutions et plus largement de l’ensemble des structures publiques. Dans des périodes post-conflictuelles, transitionnelles, marquées par une forte vulnérabilité/fragilité institutionnelle, l’administration publique apparaît comme garante de la continuité de l’action de l’Etat et de la stabilité sociale, permettant aux institutions politiques, par effet de rétroaction, de bénéficier d’un renforcement de leur légitimité. Toutefois, l’administration publique ne peut jouer ce rôle qu’à la condition de répondre à un certain nombre de standards d’organisation et de fonctionnement : impartialité, désintéressement, neutralité de la fonction publique. Fonctionnement selon un mode légal rationnel excluant toute forme d’arbitraire dans les décisions et les arbitrages rendus. Séparation des moyens d’administration et des biens privés. Efficience, performance, célérité, transparence, accessibilité dans les modalités de fonctionnement. 

La décentralisation des compétences étatiques et leur transfert à des collectivités territoriales constitue également une condition du succès d’une transition démocratique en donnant vie à la démocratie locale et à la participation des citoyens (au sens de la Charte européenne sur l’autonomie locale et régionale du Conseil de l’Europe).

  • L’établissement et la consolidation de la démocratie ne peut s’envisager sans un développement économique et social soutenu et dont les effets bénéficient équitablement à l’ensemble de la société. Les administrations publiques jouent évidemment un rôle important à cet égard, non seulement en créant les conditions d’un développement économique et social équitable, mais également en développant un certain nombre de structures publiques et de services qui vont participer directement à ce développement.
  • Enfin, l’établissement et la consolidation de la démocratie ne peut évidemment ignorer la question de la gestion institutionnalisée des conflits politiques et sociaux : le rôle de l’administration est de transcender ces conflits et de les transmuter dans la définition d’un intérêt général dont elle est à la fois l’interprète et la garante, ou de les trancher par le jeu normal des institutions juridictionnelles. Les administrations publiques ont la charge de médiatiser un intérêt général à partir des intérêts particuliers et catégoriels. Elles participent ainsi au processus de légitimation des institutions publiques en les détachant des intérêts partisans ou claniques. Dans le même ordre d’idées, elles réalisent la conciliation d’intérêts de groupes sociaux antagonistes, et contribuent ainsi au retour à une paix durable, dans des Etats dont l’unité nationale s’est fracturée à l’occasion d’un conflit interne. Elles symbolisent le consensus sur lequel repose le contrat social.

Les processus de transition dans les ex-républiques socialistes nous éclairent aujourd’hui sur les conditions devant être réunies pour qu’une paix durable soit construite, qui trouve ses racines dans le cœur de la Nation. Ces mêmes processus nous donnent à voir les obstacles à la (re)construction d’une administration publique gardienne de la démocratie : la superposition de structures administratives (traditionnelles et refondées), l’insuffisante déconcentration des compétences, un poids excessif de l’Etat central, l’absence de déontologie ou d’éthique dans les fonctions publiques…

L’étude de ce phénomène sera réalisée à partir des études de cas sur lesquels l’association EUROPA a travaillé dans les années 90 à la demande du Conseil de l’Europe, mais plus largement sur les travaux de l’auteur et des experts européens (représentant 22 Etats de l’Union européenne) sur les questions relatives à l’action publique en Europe.