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EUROPA, en sa qualité d’OING dotée du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe, a participé à la session de printemps de la Conférence plénière des OING, qui s’est tenue du 8 au 12 avril 2019, à Strasbourg.

Plus particulièrement, EUROPA, dans le prolongement du séminaire européen organisé le 1er juin 2017, sur la question de “L’accueil des réfugiés et des migrants dans les sociétés européennes : Défis, enjeux et approches de solutions”, et dans le cadre de sa participation à la cellule de veille sur les migrations, créée par la Conférence plénière des OING à la suite de ce séminaire, était présente lors de la conférence organisée le jeudi 11 avril sur le thème : Devoir où délit de solidarité, l’action des ONG dans le système d’assistance et d’aide aux migrants et réfugiés.”

A la suite de ces échanges, EUROPA a été invitée à présenter une contribution lors de la réunion de la Cellule de veille “Migration”, qui s’est tenue le 24 juin dernier à Strasbourg.

Cette conférence, organisée en coopération avec la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a été ouverte par Monsieur Pierre-Alain FRIDEZ, Rapporteur Général sur l’arrêt du placement en rétention d’enfants migrants (Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées) et par Madame Anna RURKA, Présidente de la Conférence des OING.

Sont par ailleurs intervenus :

  • Monsieur Daniel GUERY, Coordinateur de la cellule de veille “Migration” de la Conférence des OING, animateur de la rencontre ;
  • Docteur Philippe de BOTTON, Président de Médecins du Monde France ;
  • Monsieur Damien CAREME, Maire de La Grande Synte, Lauréat du Prix du Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe ;
  • Madame Giorgia LINARDI, Responsable du plaidoyer et représentante de l’Italie pour Sea-Watch International ;
  • Madame Carla FERSTMAN, Maitre de conférences à la faculté de droit de l’Université de l’Essex et membre du Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des OING.

Actuellement, en France, mais également dans d’autres pays européens, tels que l’Italie, les citoyens venant en aide à des personnes étrangères en situation irrégulière, en facilitant leur entrée ou leur installation sur le territoire, peuvent être poursuivis et, le cas échéant, condamnés, au titre de la violation des règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire national. L’efficacité de ce “délit de solidarité” ne se mesure pas au nombre de condamnations, mais à la peur qui résulte de cette dissuasion. En France, l’article L.622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit ainsi que “Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 Euros.”

La conférence à laquelle a participé EUROPA a tout d’abord mis en lumière le hiatus qui peut exister entre, d’une part, la législation européenne et, d’autre part, les législations nationales : au niveau européen, la directive n°2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers introduit la Convention de Palerme des Nations Unies[1], invite, certes, les États à lutter contre la traite et le trafic des êtres humains, le cas échéant au travers de l’adoption d’une législation pénale visant spécialement les “passeurs”. Mais cette pénalisation n’est envisagée qu’en cas de “contrepartie financière”. Ainsi, toute aide à caractère humanitaire échappe en théorie à cette criminalisation. En Allemagne, par exemple, les poursuites pénales ne sont ouvertes qu’en cas d’aide apportée dans un but lucratif.

La législation française est plus ambiguë : antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018, elle prohibait toute forme d’aide dès lors que celle-ci pouvait avoir une « contrepartie directe ou indirecte »[2]. Ouvrant ainsi la voie à la condamnation en 2007, de plusieurs militants à 4 mois de prisons en raison de la “contrepartie en termes de notoriété” qu’ils auraient alors retirée de l’aide apportée à des migrants.

En Hongrie, loin de la finalité de la Directive de 2002, la loi “Stop-Soros”, adoptée le 20 juin 2018, rend passible de poursuites pénales tout citoyen ou ONG apportant une aide quelconque à une personne étrangère en situation irrégulière.

Pour ce qui concerne la France, le Conseil Constitutionnel, le 6 juillet 2018[3], a considéré que le principe de fraternité avait valeur constitutionnelle et a pu préciser qu’“il découle de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national”.

Dès lors, l’article L.622-4 du CESEDA a été modifié par la loi “Collomb” du 10 septembre 2018[4], intégrant dans les exceptions au “délit de solidarité” “toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire”. Pourtant, une limite à cette exemption de poursuites pénales demeure : la contrepartie directe ou indirecte. Cette dernière notion (“contrepartie directe ou indirecte”) reste donc toujours bien plus large que celle de “contrepartie financière” initialement prévue par le droit européen et international.

Madame Carla FERSTMAN, Maitre de conférences à la faculté de droit de l’Université de l’Essex et membre du Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des OING, s’est d’ailleurs attachée à démontrer cette tension née de l’application et de l’interprétation de normes floues et ambigües.

Elle a par ailleurs souligné les débats et de mise en cause entourant la notion de délit de solidarité :

  • il peut sembler paradoxal de parler de “délit” à propos d’actions de “solidarité” motivées par un sentiment altruiste, ces deux termes pouvant être perçus comme antagonistes.
  • dans quelle mesure le fait d’apporter de l’aide à des personnes, très souvent en détresse, peut-il être condamnable ?

Les États et les OING semblent être dans une situation de contradiction entre leurs obligations au titre de l’ordre juridique auquel ils appartiennent, et les impératifs d’ordre éthique ou même moraux : d’un côté, le respect de la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire national, et de l’autre côté, la nécessité d’apporter de l’aide aux personnes qui sont en situation de vulnérabilité. La difficulté majeure de cette contradiction tient au fait que les citoyens ou les OING peuvent apporter de l’aide à ces personnes vulnérables, sans pour autant remplir les conditions du droit national.

Les échanges lors de la conférence ont permis de souligner l’importance de l’action des OING, action parfois dénoncée (voire criminalisée) par les responsables politiques nationaux. Cette action consiste pour l’essentiel à porter assistance aux personnes en situation de très grande vulnérabilité, au risque de la violation des règles nationales en matière d’entrée et de séjour. C’est précisément sur ce dernier point que porte la critique des responsables politiques nationaux, estimant que les OING joueraient ainsi le jeu des passeurs en facilitant l’entrée et le séjour illégal de personnes en situation irrégulière.

Les différents intervenants ont alors tous offerts leurs témoignages sur leur expérience sur rôle des OING en matière d’accueil des migrants et réfugiés.

Le Docteur Philippe de BOTTON, Président de Médecins du Monde France, a, à son tour, souligné que l’action des OING est parfois mise en cause comme confortant objectivement l’activité des réseaux de passeurs. Dès lors, leur intervention en aide aux migrants, pour légitime qu’elle soit au plan des valeurs morales, disqualifierait l’action des États. Il conclut en démontrant que les frontières sont protégées au détriment des personnes. Une nouvelle fois, la contradiction entre, d’une part, la responsabilité juridique des États, qui souhaitent voir observée et respectée leur législation relative à l’entrée et au séjour sur leur territoire, et d’autre part, la situation des OING, soucieuses de porter secours et aide à des personnes en situation de vulnérabilité, est criante.

C’est d’ailleurs ce qu’a souligné la représentante de l’Italie pour Sea-Watch international, Madame Giorgia LINARDI, qui a pointé du doigt le paradoxe dans lequel se trouvent les navires en Méditerranée : d’une part l’obligation de sauver les personnes en mer et d’autre part la commission du “délit de solidarité”.

Les OING ne sont pas les seules placées dans une situation de tension sur la question migratoire. Les collectivités territoriales sont en effet souvent amenées à se substituer à l’État, pour compenser son inaction, ou pour, plus positivement, co-construire une politique locale avec les OING en matière d’accueil et d’intégration.

Cette position était défendue par Monsieur Damien CAREME, Maire de La Grande Synte, Lauréat du Prix du Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, qui a exposé son expérience d’élu local dans l’accueil des migrants, “chercheurs de refuge”. Face à cette problématique, il a pu appeler les élus locaux à agir, afin d’éviter une situation qu’il qualifie de “pourrissement” découlant de l’inaction de l’État. L’action des collectivités territoriales peut se matérialiser, par exemple, par la mise place de gymnases ou de tentes chauffées, comme l’a d’ailleurs fait le Maire de Grande Synte.