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Maire pendant 25 ans, Député du Lot durant 19 ans je préside aujourd’hui le comité national de l’eau (institutionnel) et le Partenariat Français pour l’Eau (associatif). La présente synthèse repose sur l’écoute exhaustive de tous les intervenants de cette journée, croisée avec mon vécu du sujet de l’eau…

Les assises de l’eau

Devant les maires de France réunis en congrès en novembre 2017, le Président de la République Emmanuel Macron annonçait la tenue d’assises de l’eau, qu’il justifiait par le sous investissement des collectivités locales alors que le besoin d’un renouvellement massif des canalisations d’eau était constatable. Julie Eissen (ICAPE) a fait l’historique du développement des infrastructures d’eau potable, rappelé le nécessaire amortissement des ouvrages (M49), constaté que de nombreux réseaux étaient en fin de vie. Pour rebondir sur son  intervention, permettez moi de rappeler deux éléments :

  • D’une part la conférence environnementale de 2013 et la table ronde sur l’eau qui avait considéré l’émiettement de la maîtrise d’ouvrage comme un obstacle à l’investissement public, soulignant ainsi la nécessaire rationalisation (faisant ainsi écho à ce qui s’est passé aux Pays Bas).
  • D’autre part, l’ouvrage que j’ai commis avec David Colon “l’eau potable en France : entre facture et fractures” paru en juin 2017. Une convergence d’analyse avec les interventions du président du CD 87 Jean Claude Leblois (renouvellement des canalisations), la nécessaire sécurisation de l’approvisionnement en eau potable évoquée par Nicolas Joyeux/ Banque des Territoires. La lutte contre les fuites d’eau, la sécurisation des captages prioritaires, les nécessaires interconnexions, les infrastructures d’assainissement, le financement de ces investissements par des Aquapréts de la banque des territoires, autant de sujets examinés durant cette première phase des assises de l’eau consacrée au petit cycle de l’eau durant le premier semestre 2018 ; j’en étais le coordinateur général auprès du secrétaire d’état Sébastien Lecornu.

Mais je partage avec le représentant de la Région Nouvelle Aquitaine Henri Sabarot l’idée de l’unité du cycle de l’eau! Dès lors, je n’ai eu de cesse de plaider, au plus haut niveau de l’Etat, la poursuite du processus, une phase 2 qui serait consacrée au grand cycle de l’eau. 4 groupes de travail ont ainsi traité, durant le premier semestre 2019 : 

  • d’économiser l’eau : sujet évoqué par le président de Limoges Métropole Guillaume Guérin, par le Maire de Limoges Emile-Roger Lombertie (récupération de l’eau de pluie pour l’arrosage), par Mme Moleda (idée de consommation responsable). La Reut/Reuse par la notion de circularité  qu’elle intègre (Valerie Le Gallou/ gestionnaire à l’office des eaux de Rhénanie) doit être prise en compte dans les objectifs des industriels (Christelle Zalas/ cheffe du service eau de la direction de l’environnement de Nouvelle Aquitaine) pour anticiper d’éventuelles ruptures d’approvisionnement.
  • de partager l’eau : Fabrice Amalric (EDF) a évoqué le soutien d’étiage comme un des outils permettant de dépasser les conflits d’usage ; le président de Limoges Métropole a mentionné le PTGE (projet de territoire pour la gestion de l’eau). Au maire de Limoges qui appelait à la cohérence dans la mise en œuvre de la politique de continuité écologique, je peux préciser que j’ai créé dans le cadre du Comité National de l’Eau un groupe de travail adhoc chargé d’établir les conditions d’une politique apaisée en la matière.
  • de protéger l’eau : cette indispensable nécessité a été reprise des l’ouverture des travaux par Michel Senimon (Délégué Général d’Europa) et Eric Tardieu (Directeur Général de l’OI Eau) pour nous préserver des atteintes à la biodiversité. Ce que résume simplement E-R Lombertie (maire de Limoges) en disant : “il faut prendre soin de la ressource”.
  • des Solutions Fondées sur la Nature (SFN) : Guillaume Choisy (directeur de l’agence de l’eau Adour Garonne) a cité la renaturation des cours d’eau et des villes ainsi que la préservation des zones humides.
  • J’étais pour ma part chargé par la secrétaire d’état Emmanuelle Wargon, des sujets considérés comme transversaux : la gouvernance, le financement et les objectifs de développement durable, ce dernier concept ayant, me semble t’il, été paradoxalement absent du débat de ce jour !?

Partageons en conclusion de cette première partie la conviction du Maire de Limoges selon laquelle l’eau est le cycle du vivant !

L’organisation française de l’eau : de la gouvernance et des financements

Permettez moi de saluer la mémoire de Ivan Cheret, récemment décédé, le père de la Loi sur l’eau de 1964 rappelée par Guillaume Choisy ; cette loi qui a institué le système des agences de l’eau comme outils de mise en œuvre des politiques décidées par les comités de bassin, parlements de l’eau. Les SDAGE (schémas directeurs d’aménagement et de gestion de l’eau) sont déclinés dans des programmes pluri annuels ; et c’est dans le cadre des SAGE (schémas d’aménagement et de gestion de l’eau que l’on rentre dans l’opérationnalité sur les territoires. Le problème, que j’ai pointé dans mon rapport remis à Emmanuelle Wargon le 16 mai 2019, c’est qu’une grande partie de l’est de la France n’est pas couvert par des SAGE ; et faute de maitres d’ouvrages identifiés pour les porter, pas d’actions concrètes pour la GEMA (gestion de l’eau et des milieux aquatiques) et pas de PI (prévention des inondations).

Eric Tardieu (OiEau) a pointé la question de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités ; il est vrai que la loi NOTRE n’a pas stabilisé définitivement cette question. L’ancien législateur que je suis a constaté que la loi courrait souvent après les pratiques du terrain et les politiques portées de manière volontariste par quelques élus visionnaires ou tout simplement confrontés à des problèmes locaux . C’est ainsi qu’ont été inscrits dans la loi la reconnaissance des EPTB (Établissements Publics Territoriaux de Bassin), des EPAGE (Établissements Publics d’Aménagement et de Gestion de l’Eau), de la GEMAPI. C’est ainsi que j’ai pu porter l’amendement dit de la représentation – substitution évoquée par Jean Claude Eude, directeur de l’établissement public Loire. L’enseignante Sophie Richard a souligné la tendance à l’intercommunalisation dans la logique de la décentralisation et nous a donné un focus sur la Durance ; de son côté, Brigitte Lardy (VP CD 87) a insisté sur le rôle d’ensemblier (multiples schémas dont celui de l’AEP) que peut jouer l’échelon départemental.

Pierre Bauby, enseignant chercheur à l’université Paris 8, a rappelé les différents modes de gestion de l’eau (DSP ou Régie) et a souligné la nécessité pour lui de reconstituer les compétences techniques en ingénierie. Ingénierie publique certes mais aussi ingénierie privée, comme elle se structure à l’intérieur de la filière française de l’eau (évoquée par le Président de la communauté Urbaine de Limoges). Cette organisation récente prend toute sa place dans le contrat stratégique de filière eau signé en janvier 2019,à l’occasion du  carrefour des gestions locales de l’eau à Rennes, dans le cadre d’une réunion plénière et déconcentrée du Comité National de l’Eau.

Dans cette question primordiale de la gouvernance de l’eau, la nécessité d’une approche concertée  a été nettement mise en avant par Jean Claude Leblois (Président du CD 87) et confirmée par Jean-Emmanuel Gilbert (Aquassay/ Limoges) : Convaincre les citoyens en expliquant le cycle de l’eau, l’augmentation  de la prise de conscience devant enrichir les politiques publiques ! Gérer l’eau de façon responsable  peut constituer le départ d’une nouvelle dynamique environnementale. Point que Jacques Ganoulis (réseau international des centres sur la gestion durable des ressources en eau et l’environnement pour les Balkans et la résolution des conflits) résume en en appelant à une gouvernance européenne commune et plus efficace de la gestion de l’eau.

Marie Claire Domont (AEAG) engageait le sujet des moyens en rappelant les redevances affectées ; Philippe Janicot (VP en charge de l’eau à Limoges Métropole) rappelait les solidarités amont/aval et urbain/ rural avant que le débat ne s’ouvre sur la question du prix de l’eau. “Si l’eau n’a pas de prix, elle a néanmoins un coût” disait le Maire de Limoges et Klara Ramm (représentante de la Pologne  au sein de l’assemblée générale d’EurEau) de souligner la nécessaire vérité du prix de l’eau par la couverture des coûts. Et je partage l’avis de Julie Eisen (ICAPE) pour qui le prix de l’eau ne doit pas être trop bas mais respecter un coût mesurable et acceptable ; la tarification sociale de l’eau et, en particulier, le dispositif Pass’Eau mis en place par le conseil départemental de Haute Vienne, ont été rappelés.

Gestion qualitative et gestion quantitative

Ces différents points ont été abordés à travers quatre problématiques :

  • l’enjeu santé humaine pointé des le début du colloque par l’organisateur Michel Senimon. Les avancées positives ont été rappelées : L’assainissement qui a permis de contenir les pollutions domestiques (G.Choisy), la capacité à baisser l’utilisation des pesticides (réduction des intrants/ E.Tardieu). Mais elles ne doivent pas masquer les efforts qui restent à faire (Leon Dhaene/ secrétaire général de la commission internationale de l’Escaut), en particulier sur les perturbateurs endocriniens, sujet rappelé par le Maire de Limoges et le Président de la Métropole.
  • L’enjeu de la transition écologique et solidaire ; il est affiché d’entrée dans le projet territorial de Limoges Métropole a dit son vice président Philippe Janicot, en charge entre autre de la démarche qualitative. En rappelant la feuille de route Neoterra du Président de la Région Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, Christelle Zalas (cheffe du service eau) a souligné que les masses d’eaux souterraines ne sont pas en bon état et nécessitent attention; ce que Brigitte Lardy (VP du CD 87 en charge de développement touristique et de la transition écologique résumait en souhaitant le passage des assises de l’eau à des assises de l’environnement. 
  • l’agriculture : tous les intervenants ont exprimé la même ambition ; ne pas stigmatiser le monde agricole (H.Sabarot) mais amener les politiques et les pratiques agricoles à devenir plus vertueuses, revenir aussi aux pratiques oubliées (R-E Lombertie), ce qui nous renvoie aux solutions fondées sur la nature et à l’attente d’une nouvelle PAC (politique agricole commune), avec des liens entre pratiques agricoles et pratiques de consommation, pour déboucher sur des contrats de filière (C.Zalas).
  • la répartition spatiale de l’eau: Eric Tardieu (OiEau) a rappelé les inégales répartitions géographiques de la ressource , précisé que la rareté de l’eau peut être naturelle et géographique et constaté la capacité inégale des États à gérer la ressource, qu’il a défini comme “la disponibilité politique et économique de l’eau”. L’augmentation de la population planétaire et la régulation des usages ont été cités comme pesant ou devant peser sur la quantité d’eau disponible ; Sophie Richard (AgroParisTech) a cité l’exemple de la Durance pour les transferts d’eau et j’ajoute, avec Eric Tardieu (DG OIEau) l’exemple du Maroc où la volonté politique royale du “pas une goutte d’eau à la mer” a rompu le cycle naturel de l’eau.

Le croisement de ces différents enjeux a mis en évidence deux points supplémentaires. D’une part le développement de la data, pointé par J-E Gilbert (Aquassay), avec la nécessité de parier sur la science et le digital, la recherche et l’innovation. D’autre part, les liens entre l’eau et l’urbanisme ; à cet égard l’expression “une eau propre, les pieds au sec”, mise en œuvre en Rhénanie (Pays Bas) et rappelée par Valérie Le Gallou (gestionnaire à l’office de l’eau), a constitué une belle image en synthèse qui fut saluée par de nombreux participants.

L’eau, marqueur du dérèglement (réchauffement) climatique

C’est mon expression favorite. E.Tardieu a dit victime, C.Zalas a fait part d’un constat alarmant, J.C.Leblois du sentiment de l’urgence. 

  • Par ses manques : Sécheresse et canicule sont régulièrement à l’ordre du jour du comité de suivi hydrologique que je préside dans le cadre du comité national de l’eau ; j’ai convaincu Emmanuelle Wargon d’adjoindre à ce comité le qualificatif d’anticipation afin de s’appuyer sur les analyses des différents organismes scientifiques (Météo France/BRGM/CNRS) et des observateurs de terrain (OFB/VNF/EDF) et de mieux coordonner les arrêtés de sécheresse dans les départements, en respectant les bassins et sous bassins versants. G. Choisy a rappelé le déficit du bassin Adour Garonne avec la baisse du débit moyen de la Garonne également rappelée par E.Tardieu ; H.Sabarot ajoutant la diminution du manteau neigeux. Ces manques d’eau, le stress hydrique ont aussi été confirmés par de nombreux intervenants étrangers (Temesi/Hongrie, Moleda/Pologne, Kyvelou/Grèce ).
  • Par ses excès : Je rappelle le drame récent  des vallées des Alpes Maritimes; mais les inondations, la récurrence des pluies violentes sont aussi constatées aux Pays Bas, en Hongrie. 

Un focus particulier à été fait sur la température de l’eau. Elle impacte selon moi le premier des usages de l’eau, l’alimentation en eau potable, mais aussi, comme l’a rappelé G.Choisy (AEAG), le fonctionnement de la centrale nucléaire de Golfech.

En conclusion, ce colloque a constitué  un véritable état des lieux ; il nous a aussi permis de nous projeter dans l’avenir. L’eau, comme bien public, est un élément fédérateur et cette journée aura permis un panorama complet des compétences et de leurs niveaux  d’exercice :

  • En France, les projets territoriaux qui ont été présentés montrent que villes, agglomérations, intercommunalités, syndicats mixtes (ouverts ou fermés) départements, régions  mais aussi autres partenaires publics ( agences de l’eau, Caisse des dépôts / banque des territoires) et privés s’inscrivent dans la gestion intégrée de l’eau par bassin versant. M.C. Domont (AEAG) rappelant que la multiplicité des acteurs ne favorise pas leur nécessaire coordination !
  • En Europe, plusieurs sigles la caractérisent (DCE/PAC/BEI/ RIOB). De nombreux exemples nationaux ont été explicités ; Jacques Ganoulis (qui m’a succédé à la présidence du RIOB Europe en 2017) et Stella Kyvelou pour la Grèce, Egle Stonkute pour la Lituanie, Malgorzata Moleda pour la Pologne, Istvan Temesi pour la Hongrie qui a, en outre, souligné le déclin des nappes. Valérie Le Gallou a présenté la spécificité de l’organisation des Pays Bas autour de l’eau et l’obligation de trouver des compromis sur les polders; Klara Ramm ( EurEau) rappelant pour sa part les différents modèles et systèmes de gestion européens.
  • Sur la planète : le Délégué Général d’Europa, Michel Senimon, a donné d’emblée le ton en rappelant que la menace sur la ressource en eau et le changement climatique créeraient des tensions géopolitiques et des déplacements de populations. “On voyage là où il y a de l’eau” ajoutait E-R Lombertie, maire de Limoges. De nombreux mots clefs ont circulé : l’eau, c’est la vie et la culture ! La diplomatie de l’eau (Ganoulis), les solidarités amont/aval y compris pour les eaux transfrontalières, l’indispensable partage des solutions entre l’Afrique et l’Europe (Tardieu), la coopération internationale (MC Domont cite l’IWA) pour construire des cohérences. A cet égard, comment ne pas évoquer alors qu’il vient de nous quitter, la mémoire de l’ancien sénateur Jacques Oudin, auteur il y a 15 ans avec André Santini de la loi éponyme sur la coopération décentralisée (1%). J’ajouterai enfin pour ma part les 17 ODD (objectifs de développement durable) de l’ONU, en particulier l’ODD 6 consacré à l’eau.

Je vous remercie de votre attention.
Jean LAUNAY
Membre Honoraire du Parlement
Président du Comité National de l’Eau
Président du Partenariat Français pour l’Eau