Les politiques publiques sur l’eau peuvent avoir un impact très fort sur l’empreinte eau de l’industrie.
L’observation d’Arkema, chimiste leader dans les matériaux de spécialités et les adhésifs, opérant plus d’une centaine d’usines dans le monde, dans une trentaine de pays, mérite d’être partagée.
A la faveur du programme « Optim’O », lancé en 2016, visant à optimiser sous tous ses aspects l’usage de l’eau et réduire l’empreinte hydrique dans nos sites industriels dans le monde, on le constate très clairement au travers des analyses internes et la cartographie de l’eau, conduites annuellement.
Par exemple, tous types de productions confondus :
- Il faut 7 fois plus d’eau en Europe qu’en Asie pour produire une tonne de produit ; et 2 fois plus en Amérique qu’en Asie.
- La production de cette même tonne de produit émet en Europe 5 fois plus de Demande Chimique en Oxygène (DCO) qu’en Asie ; et 4 fois plus en Amérique qu’en Asie.
Bien sûr, l’ancienneté des usines, la diversité de leurs productions et de leurs environnements hydriques affectent ces chiffres.
Néanmoins, cela n’explique pas tout. D’autres facteurs influencent grandement la performance hydrique, au premier rang desquels la réglementation applicable à la conception et à l’exploitation des usines, sans oublier la culture et la sensibilité de leurs exploitants envers les sujets environnementaux, très diverses selon les pays.
Une analyse plus fine, comparant entre elles des usines d’un même domaine d’activité, implantées dans différents pays, montre que, pour la plupart des domaines, le site asiatique, généralement chinois, montre la plus faible empreinte hydrique :
On observe de fait des situations réglementaires très contrastées dans les 3 principaux pays où se trouvent ces usines :
- Aux Etats-Unis, des réglementations limitées, assez peu contraignantes, des fréquences de contrôle très faibles, mais un respect quasi obsessionnel des limites, par crainte des poursuites juridiques.
- En France, des réglementations aux exigences croissantes, complexes avec souvent une surenchère au-delà des directives européennes, mais une application de fait tolérante aux dépassements et aux statu-quo de situations anciennes, et parfois piégeuse pour les initiatives pro-actives des usines.
- En Chine, une très forte pression réglementaire, avec des valeurs souvent basées sur un « best of » planétaire, mêlant seuils à respecter, projets d’investissement à 0 incrément environnemental, standards maxi d’usage de l’eau par produit, le tout appliqué d’une manière exhaustive à travers un contrôle tatillon en quasi temps réel, mais en parfaite cohérence avec une vision ambitieuse de la performance environnementale de l’économie à long terme, et une politique d’investissement para publique dans la distribution, le traitement et le recyclage de l’eau.
Au final, cette analyse met en lumière :
- Des pays où l’efficacité hydrique des usines progresse peu, obérée par des sites certes de conception ancienne, mais souffrant aussi d’un cadre administratif à fois contraignant mais manquant d’efficacité dans sa mise en œuvre, et pouvant même décourager les initiatives de progrès.
- Des pays où l’efficacité hydrique progresse vite, de gré ou de force, menée par des réglementations exigeantes et ambitieuses, appliquées avec une rigueur extrême, mais s’appuyant sur une vision à long terme, en pleine cohérence avec les infrastructures publiques et les administrations.
A ce jeu-là, certains pays d’Asie, en particulier la Chine, progressent vite. Les usines de ces pays deviennent le laboratoire industriel de l’efficacité hydrique. Ce sont celles où l’on promeut les technologies plus poussées de réduction des usages, de réutilisation et de moindre pollution de l’eau. Ce sont donc bien sûr celles affichant les meilleures performances, pas seulement hydriques, montrant la voie à leurs collègues européens et américains.
Les progrès affichés pourraient même devenir un avantage compétitif, le jour où les performances environnementales deviendront également un critère de choix pour nos clients, en particulier à travers la pression croissante des agences de notation de la Responsabilité Sociétale des Entreprises.
Plutôt que d’être strictement contraignantes, ces politiques publiques de l’eau doivent donc être bien sûr ambitieuses, mais surtout en pleine cohérence :
- avec les objectifs long terme de l’économie et de l’environnement
- avec les infrastructures publiques et les administrations de tout ce qui touche à l’eau.
Enfin, elles doivent s’appuyer en confiance sur le savoir-faire et l’innovation des industriels.
Jean-Yves ROBIN
Arkema Global Water Project Director
Direction Sécurité Environnement Groupe